dimanche 15 janvier 2012

Les étals des poissonneries



Les poissons sont l'un des grands thèmes de la nature morte, notamment dans les traditions flamandes et hollandaises dont ils ont accompagné la formidable expansion.

 
 
 Les poissons sont un sujet souvent traité par les peintres de natures mortes. 
Pas de mystère à cela : sur le plan formel, les poissons ont des qualités visuelles tout à fait intéressantes à peindre quand, de plus, ils ne déméritent pas en tant que met de choix. Rien à redire donc pour une nature morte classique.

Ceci étant dit, il ne faudrait quand même pas, sous prétexte d'écailles luisantes ou d'œil globuleux, oublier le lien fort que les gens des Flandres et de Hollande ont pu entretenir avec le poisson. Gens de la mer, les Flamands ont toujours tiré de la mer leurs richesses, et tout d'abord leur nourriture (ci-dessus : Clara Peeters, "Nature morte avec poissons, huitres et crevettes", 1607). C'est donc en pécheur qu'ils regardaient le poisson. Et plus particulièrement un poisson, le hareng, dont ces populations des côtes de la Mer du Nord se sont nourris pendant des siècles... comme la morue nourrira plus tard celles des côtes du Portugal et de Biscaye.

Le hareng venait des côtes de Frise, d'Allemagne et du Danemark. Son commerce fut à l'époque si florissant qu'il fit la première richesse des gens du Nord.
La Ligue Hanséatique (Lübeck et Hambourg), favorisa le commerce du hareng, rendant la salaison possible grâce à l'accès de Hambourg aux mines de sel de Kiel, ce qui permis notamment de l'exporter vers les Pays-Bas.
Ainsi, lorsque les marchands de la Ligue parvinrent jusqu'en Hollande, la comtesse Marguerite de Flandre leur accorda des privilèges fondamentaux
(1252-1253) qui garantissaient l'exercice de leur commerce dans ses ports. De là l'essor de la pèche et du commerce en Mer du Nord.



Un dernier point peut expliquer cette importance du poisson dans les provinces flamandes : c'est le rôle que lui confiaient les préceptes alimentaires religieux. 

Les Flamands en effet, restés fidèles au catholicisme, observaient le carême. Ainsi, le poisson que l'on devait consommer pendant un mois demeurait un aliment central pour les Catholiques. Que ce soit pour leur propre consommation ou pour le commerce, le poisson était pour cette raison un bien éminemment important à cette époque. Aussi, ceux qui le péchaient et en faisaient le commerce se garantissaient de ce fait des débouchés réguliers.

Dès lors, les Flamands profitèrent de ces échanges économiques. Sur ce trésor du poisson, ils amassèrent des richesses qu'ils investirent dans la construction d'une flotte qui servira bientôt à protéger leur commerce, puis plus tard à se construire un empire. Le hareng tableau de Joseph De Bray (ci contre : "Éloge du hareng", 1657) nous en fournit une preuve édifiante : c'est bien au hareng que les Flamands devaient leur richesse, et visiblement nul parmi eux ne semblait l'ignorer. 

Plus qu'un simple sujet d'étude, le poisson fut donc pour les peintres flamands le symbole même de leur culture et de leur richesse. Et parce qu'il consacrait leur maitrise des mers et du commerce en mer du Nord, il fut  aussi pendant un temps celui de leur puissance.


Par la suite, la figuration de poissons s'imposa comme l'un des thèmes majeurs de la nature morte et tous les peintres, jusqu'au XXème siècle, s'y essayèrent, comme si ce motif était devenu un passage obligé

Néanmoins, sa figuration a logiquement diminué à mesure que l'importance du poisson dans l'alimentation diminuait - et que son rôle dans la subsistance des populations s'amoindrissait.
 
Parmi les peintres ayant accordé une place d'importance au poisson, citons notamment Jean-Siméon Chardin, dont une nature morte représentant une raie ("La raie", 1728) parmi ses tableaux les plus célèbres et, pour ne parler que du XXème siècle, Pablo Picasso et Georges Braque qui, du fait de l'importance qu'a joué la nature morte dans leurs recherches, ont en peint à eux deux un grand nombre dans leur période cubiste, plus encore Georges Braque qui a montré un attachement à ce motif du poisson (ci dessus : "Nature morte aux poissons", 1939) tout au long de sa vie
Quant à Bernard Buffet, il fut - dans son style très dépouillé - l'un des derniers peintres à accorder à ce motif une place importante (ci-contre : "Nature morte aux poissons", 1950).

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