lundi 12 mars 2012

Le temps suspendu de Jan Van De Velde

Graveur et peintre, Jan van De Velde (1593-1641) appartient à une grande famille de peintres d'Amsterdam. S'il nous a laissé un grand nombre de dessins représentant pour l'essentiel des paysages et des marines, nous ne connaissons de lui que quelques rare natures mortes, mais elles sont d'une telle qualité qu'elles nous obligent à réévaluer l'importance ce peintre dans la peinture flamande du XVIIème siècle.



Les quelques natures mortes que nous connaissons de Jan van De Velde sont très semblables visuellement. 
Par le style d'abord, qui ne présente pas de variations majeures : conservation d'un même cadre, positionnement identique du sujet au premier plan, même traitement du fond dans un noir quasi uniforme. 
Par le sujet ensuite : toutes montrent une table avec quelques objets - certains de ces objets étant communs à toutes ses compositions.

Cette affection pour un nombre restreint d'objets, nous verrons qu'on la retrouve souvent chez les peintres de natures mortes. Les peintres représentaient en effet souvent les mêmes objets (on connaît le goût de Bruegel pour les fleurs, celui de Cézanne pour les pommes...), comme pour travailler indéfiniment la lumière s'y accrochant et parfaire ainsi les rendus. Aussi, chaque peintre semble ainsi avoir ses objets dédiés. Chez Jan van De Velde, ce sont les pipes, les citrons, les verres et les assiettes.

L'organisation des quelques objets est toujours minimale : elle repose à chaque fois sur une mince quantité d'objets, objets toujours posés sur un coin de table à une hauteur d'un tiers du tableau. Aucun autre objet ne vient se situer à l'arrière plan. 


Au-delà de cette table, rien d'autre ne renseigne sur le foyer dans lequel se situe cette scène. Pas de fenêtre, pas de tableau, pas de tenture, le fond est immanquablement sombre et vide. Toute autre trace semble avoir été masquée, dissimulée, comme pour mieux focaliser l'attention sur les seuls objets présents sur la table. 

La seule chose que nous puissions projeter, c'est que nous sommes ici dans un foyer au confort bourgeois, tant la quiétude qui se dégage de la scène est palpable et précieux les objets et les mets que nous voyons.
Et de ce désordre apparent où les fruits coupés et les restes d'aliments semblent à peine entamés, de ce verre de bière aussi encore plein aux deux tiers, notre imagination se laisse à penser que cette table vient d'accueillir quelque repas ou un bref moment de repos pendant lequel quelqu'un aurait consommé quelques aliments et une bonne pipe de tabac.
Aucune autre présence, aucun autre geste ne nous est signifié, et pourtant, dans chacune de ces deux peintures, une présence rôde encore, si aisément palpable, comme si quelqu'un était sorti du tableau à peine avant que nous n'y posions les yeux, comme si notre intérêt pour la scène l'avait effrayé et poussé à s'enfuir.   


Il n'est donc pas question ici d'effusion, il n'y a pas chez Jan van De Velde de grandiloquence, pas de profusion débordante d'objets, pas de jeu avec la lumière censé montrer le tour de force du peintre... Rien n'existe au-delà d'une lumière diffuse, mais claire, qui enveloppe les objets et les fait sortir d'un néant dont on pressent qu'il se refermera bientôt sur eux.
Tout est là, dans ce temps suspendu, sans que rien ne permette de conforter cette impression d'avoir entrevu pour un instant un mouvement dont les objets, témoins silencieux mais éloquents, gardent encore la trace.